Tout est précieux et précieusement filmé. La caméra tourne, enveloppe les acteurs, crée des plans surprenants, reflets de miroirs, détail d'un costume, d'une main, d'un regard. Mais le plus grand des raffinements reste celui de l'Acteur : Brett est Holmes, sans conteste, cette redingote noire, cette allure de dandy froid, ce cynisme fragile, cette pudeur holmésienne, que seuls le geste et parfois le regard dévoilent, il a su tout reprendre des manies du Maître - la pipe en terre alterne avec celle de merisier, les cigarettes sont réservées à la discussion, le tabac est dans la babouche. Et puis, il y a ce désordre des papiers accumulés, dans lequel il plonge, ravis, éparpillant avec une joie enfantine ou une exaspération entêtée, dossiers et manuscrits ; et, dans un tiroir, à côté de la photographie d'Irène Adler, la seringue hypodermique, entrevue, omniprésente, est comme l'évocation d'un ailleurs.
L'image de notre imaginaire, matérialisée par les dessins Sidney Paget, peut, enfin, prendre vie : Holmes, les genoux repliés sous le menton, fume, les yeux dans le vague, Brett a posé sa main blanche sur le dossier du sofa. Sous le masque parfait le sourire affleure ; soudain, le regard se concentre, prend cette acuité particulière, aiguë et pénétrante, reflétant la jouissance subtile de la piste à suivre, du fil à démêler, Brett a les yeux de Holmes et bondit du sofa. Alors, nous respirons avec lui la volupté du mystère, et, suivant son pas alerte nous entrons dans le drame. Dans ces
moments-là, Watson est toujours présent, prêt à
suivre son ami dans n'importe laquelle de ses périlleuses aventures.
Tantôt vif et un peu moqueur (David Burke), tantôt plus
posé et plus attentif (Edward Hardwicke), il seconde efficacement
le détective, dans l'action comme dans la réflexion, sortant
enfin de ce rôle de niais, d'indécrottable crétin,
que lui attribut la légende populaire, et que le cinéma
américain a tant contribué à créer. Sherlock
Holmes ne peut avoir qu'un compagnon de valeur ; les Watson de la Granada
sont de vrais gentle men et surtout des amis sincères
et complices. Dans sa préface au livre de Peter Haining, "The Television Sherlock Holmes", Jeremy Brett écrivit, en pensant à tout ce temps de travail avec les équipes de la Granada, et au résultat obtenu : " To everyone who has worked on our films of Sir Arthur Conan Doyle's stories in the past decade, only one word can express how I feel.... Bravo !"*. Nous aussi Mr. Brett, "we feel bravo"....et même beaucoup plus que cela..... Camille Julien GAUTRON, janvier 1996. Copyright©gautron1996.
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